(“…celui-ci qui jamais plus ne sera loin de moi…”)
d’après Dante, la Divine Comédie, l’Enfer : chants 1, 4, 5 (25’)
effectif : soprano, hautbois (hautbois baroque), clarinette sib (clarinette basse, chalumeau alto, chalumeau basse)
Création par Anne Delafosse-Quentin, soprano ; Sophie Brière, hautbois (hautbois baroque) ; Pascal Pariaud, clarinettes (chalumeaux), salle Gérard Philipe, Villeurbanne, le 2 février 1998.
Partition : pdf sur demande au compositeur
Enregistrements (extraits)
- 1ère partie
- 2ème partie
Extraits de la partition :
1ère partie
2ème partie
3ème partie
Présentation :
Le texte choisi, l’un des passages les plus émouvant de la Divine Comédie, met en scène la rencontre de Dante, conduit par Virgile, avec Paolo et Francesca, personnages de damnés et figures paradoxales de l’amour impossible de Dante pour Béatrice. En effet, Dante met Francesca en Enfer mais il écoute avec une pitié infinie l’histoire de sa faute, ce qui peut paraître un insoluble paradoxe opposant le poète et le théologien.
Citons Borgès: “Béatrice exista infiniment pour Dante. Celui-ci très peu, sinon pas du tout, pour Béatrice; nous avons tous tendance par pitié, par vénération à oublier cette malheureuse discordance, inoubliable pour Dante. Je lis et je relis les péripéties de sa rencontre fictive et je pense aux deux amants que l’Alighiere rêva dans l’ouragan, du deuxième cercle et qui sont l’emblème obscur, même à son insu ou contre sa volonté, de ce bonheur qu’il n’a pu atteindre. Je pense à Francesca et à Paolo, unis pour toujours dans leur Enfer. ”Questi, che mai da me non fia diviso…” (celui-ci, qui jamais plus ne sera loin de moi) C’est avec un terrible sentiment d’amour, avec anxiété, avec admiration, avec envie que Dante à dû forger ce vers. (Neuf essais sur Dante)
L’idée de faire vivre l’argument du texte de Dante en mêlant instruments anciens et modernes m’a été dictée par les musiciens eux-mêmes : la personnalité et les traits spécifiques des musiciens pour lesquels j’écris, sont toujours pour moi, un des plus puissant moteur de l’inspiration.
La voix d’Anne Quentin évolue avec souplesse et une prédilection affirmée dans les musiques anciennes (du chant grégorien au baroque), par ailleurs, Sophie Brière et Pascal Pariaud ont développé un intérêt pour le répertoire et la technique des instruments baroques.
Cette particularité m’a permis d’enrichir et de multiplier les sonorités et surtout, d’orchestrer les 4 parties que comporte l’oeuvre:
– 1ère partie: “décor”, où les 3 musiciens (voix, hautbois, clarinette basse) sont réunis pour évoquer le 2ème cercle de l’Enfer où se place la rencontre.
– 2ème partie: “la rencontre” (voix, hautbois, clarinette sib) dans l’ouragan du 2ème cercle et prière de Francesca.
– 3ème partie: “chant de l’amour entre Paolo et Francesca” (voix, chalumeaux)
– 4ème partie: “lamento”: récit de Francesca : une histoire d’amour (celle de Lancelot et Genièvre) leur a révélé leur amour réciproque.
Texte
la divine comédie : l’enfer
1ére partie
(chant I 1) …per una selva oscura … …par une forêt obscure…
(I 60) …dove’l sole tace… …où le soleil se tait…
(chant IV 149) per altra via (…) par une autre voie (…)
fuor de la queta, ne l’aura que trema, hors du calme, dans l’air qui tremble,
E vegno in parte ove non è che luca. Et je vins en un lieu où la lumière n’est plus.
(chant V 28) Io venni in loco d’ogne luce muto, Je vins en un lieu où la lumière se tait,
che mugghia come fa mar per tempesta, mugissant comme mer en tempête,
se da contrari venti è combattuto. quand elle est battue par vents contraires.
2ème partie
(chant V 73) … “Poeta , volontieri … “Poète , volontiers
parlerei a quei due che’nsieme vanno, je parlerais à ces deux-ci qui vont ensemble,
e paion si al vento esser leggeri.” et qui semblent si légers dans le vent.”
Ed elli a me: “Vedrai quando saranno Et lui à moi: “tu les verras quand ils seront
piu presso a noi; e tu allor li priega plus près de nous; alors prie-les
per quello amor che i mena, ed ei verranno.” par l’amour qui les mène, et ils viendront.”
Si tosto come il vento a noi li piega, Dès que le vent vers nous les plie,
mossi la voce: “O anime affannate, je leur parlai: “O âmes tourmentées,
venite a noi parlar, s’altri nol niega!” venez nous parler, si nul ne vous le défend!”
Quali colombe dal disio chiamate Comme colombes à l’appel du désir
con l’ali alzate e ferme al dolce nido les ailes droites et fixes vers le doux nid
vegnon per l’aere, dal voler portate; viennent par l’air, portées par le vouloir;
(88) “O animal grazïoso e benigno “O créature gracieuse et bienveillante
che visitando vai per l’aere perso qui viens nous visiter par l’air sombre
noi che tignemmo il mondo di sanguigno, nous dont le sang teignit la terre,
se fosse amico il re de l’universo, si le roi de l’univers était notre ami,
noi pregheremmo lui de la tua pace, nous le prierions pour ton bonheur,
poi c’hai pietà del nostro mal perverso. puisque tu as pitié de notre mal pervers.
Di quel che udite e che parlar vi piace, De tout ce qu’il vous plaît d’entendre et de dire,
noi udiremo e parleremo a voi, nous entendrons et nous vous parlerons,
mentre che’l vento, come fa, ci tace. tandis que le vent, comme il fait, s’adoucit.
3ème partie
(100) Amor, ch’al cor gentil ratto s’apprende, Amour, qui s’apprend vite au coeur gentil,
prese costui de la bella persona prit celui-ci de la belle personne
che mi fu tolta; e’l modo ancor m’offende. que j’étais; et la manière me touche encore.
Amor, ch’a nullo amato amar perdona, Amour, qui ne consent à nul aimé de ne pas réaimer,
mi presse del costui piacer si forte, me prit si fort de la douceur de celui-ci,
che, come vedi, ancor non m’abbandona. que, comme tu vois, il ne me laisse pas.
Amor condusse noi ad una morte. Amour nous a conduits à une mort unique.
4ème partie
(116) … “Francesca, i tuoi martiri … “ Francesca, tes martyres
a lagrimar mi fanno tristo e pio. à pleurer me font triste et pieux.
Ma dimmi: al tempo d’i dolci sospiri, Mais dis-moi: du temps des doux soupirs,
a che e come concedette amore à quoi et comment permit amour
che conosceste i dubbiosi disiri?” que vous connaissiez vos incertains désirs?”
(127) Noi leggiavamo un giorno per diletto Nous lisions un jour par agrément
di Lancialotto come amor lo srinse; de Lancelot, comment amour le prit;
soli eravamo e sanza alcun sospetto. nous étions seuls et sans aucun soupçon.
Per piu fïate li occhi ci sospinse Plusieurs fois la lecture nous fit lever les yeux
quella lettura, e scolorocci il viso; et décolora nos visages;
ma solo un punto fu quel che ci vinse. mais un seul point fut ce qui nous vainquit.
Quando leggemmo il disïato riso lorsque nous vîmes le rire désiré
esser basciato da cotanto amante, être baisé par tel amant,
questi, che mai da me non fia diviso, celui-ci, qui jamais plus ne sera loin de moi,
la bocca mi bascio tutto tremante. (…)” me baisa la bouche tout tremblant. (…)”